VINGTIÈME CONFÉRENCE DE CASSIEN AVEC L'ABBÉ PYNUPHE : DE LA PÉNITENCE ET DE LA SATISFACTION
Nécessité de la pénitence. — Comment on reconnaît qu'on a satisfait pour ses péchés. — Moyens d'y parvenir. — Larmes et contrition sincères. — Charité, persévérance. — Intercession des saints. — Pardon des offenses. — Confiance dans la miséricorde infinie de Dieu. — Ne pas penser aux péchés dont le souvenir peut réveiller la concupiscence. — Pratiquer les vertus opposées à ses anciens défauts.
1. Je vais dire les enseignements que le saint abbé Pynuphe nous donna sur le but de la pénitence ; mais il semble que j'affaiblirais bien mon sujet, si je ne louais pas d'abord son admirable humilité. J'en ai déjà dit quelque chose, dans mon livre des Institutions, en parlant du renoncement. (Livre IV, chap. XXX.) Je
165
ne dois pas cependant craindre d'ennuyer le lecteur, en en parlant encore; car beaucoup peuvent lire ces conférences, sans connaître l'autre ouvrage, et les choses que je vais rapporter perdraient de leur autorité, si je ne disais rien du mérite de celui qui les a enseignées.
L'abbé Pynuphe était, comme je l'ai dit, prêtre et supérieur d'un grand monastère, près de la ville de Panephise, en Égypte. Ses vertus et ses miracles lui attirèrent une telle réputation dans toute la province , qu'il semblait récompensé de ses travaux en étant ainsi loué par les hommes; et il craignait que ces vains applaudissements ne lui fissent perdre la récompense éternelle. Il quitta donc secrètement son monastère, et se réfugia dans le désert des religieux de Tabenne. Ce n'était pas pour vivre dans la solitude et y mener cette existence que désirent avec tant de présomption les imparfaits, qui ne peuvent supporter le joug de l'obéissance dans les communautés. Il voulut se soumettre à la règle d'un grand monastère; et pour n'être pas trahi par son habit religieux, il en prit un séculier, et vint ainsi à la porte du couvent, où il demeura plusieurs jours, pleurant et se prosternant aux pieds de tout le monde pour obtenir son admission. On l'éprouva longtemps, en lui reprochant de n'être pas sincère dans ses bons désirs et de ne vouloir entrer que parce qu'il était vieux et qu'il manquait de pain; on l'admit enfin, et on le donna comme aide à un jeune religieux qui avait soin du jardin. Il s'acquitta de cet emploi avec une admirable humilité, exécutant non-seulement
166
tout ce qu'on lui commandait, mais faisant encore tous les travaux qui répugnaient aux autres. Il y consacrait secrètement les heures de la nuit, et le matin les religieux étaient bien surpris de voir terminé un ouvrage dont ils ignoraient l'auteur. Trois ans se passèrent ainsi, et il se réjouissait de vivre dans cette dépendance et cet abaissement qu'il avait tant désirés, lorsqu'un frère qui le connaissait, arriva du monastère qu'il avait abandonné. Son changement de costume et ses fonctions le firent hésiter un instant; mais, après l'avoir bien considéré , il le reconnut et se jeta à ses pieds, au grand étonnement des autres religieux qui ne pouvaient se consoler, lorsqu'ils apprirent son nom, d'avoir employé à de vils travaux un prêtre si vertueux et d'une si grande réputation. Le saint abbé versa des larmes abondantes, et accusa le démon de l'avoir trahi parce qu'il était jaloux de son bonheur. Il fut reconduit à son monastère par tous les religieux qui voulurent l'accompagner. Mais il y resta peu de temps, les honneurs et l'autorité lui étaient insupportables, et il s'enfuit sur un vaisseau qui le transporta en Palestine, province de Syrie. On le reçut novice dans le monastère où nous étions, et l'abbé lui fit partager notre cellule; mais il ne put y cacher longtemps son nom et sa vertu. Il fut découvert comme la première fois, et reconduit avec toutes sortes d'honneurs à son monastère, où il fut enfin obligé de rester à son rang.
2. Lorsque, peu de temps après, le désir de la perfection religieuse nous fit aller en Égypte, nous recherchâmes ce saint homme avec ardeur. Il nous reçut
167
avec une bonté et une humilité incroyables ; il nous regarda comme ses anciens compagnons de cellule, et voulut bien nous loger dans la sienne, qu'il avait construite dans l'endroit le plus retiré du jardin. C'est là qu'il donna publiquement à un jeune religieux, qui voulait suivre la règle du monastère, ces enseignements si élevés, si sublimes que nous avons rapportés, le plus brièvement que nous avons pu, dans le quatrième livre des Institutions (chapitre XXX.) Sa doctrine sur le renoncement nous parut si difficile à suivre, qu'il nous sembla que notre faiblesse ne pourrait jamais y atteindre. Le découragement que nous ressentions paraissait sur notre visage; et quand nous allâmes trouver le saint vieillard pour qu'il apaisât notre inquiétude, il nous demanda la cause de notre tristesse. L'abbé Germain lui répondit en gémissant :
3. Vous nous avez enseigné le chemin d'un renoncement si parfait, vous nous avez révélé des secrets du ciel qui nous étaient si inconnus, que nous sommes vraiment tentés de découragement. Quand nous comparons la grandeur de l'oeuvre à notre faiblesse et la vertu qu'elle exige à notre lâcheté, à notre paresse, il nous semble que non-seulement nous ne pourrons jamais atteindre ce degré, mais que nous descendrons même de celui où nous étions parvenus; car l'abattement qui nous accable nous fera tomber plus bas encore que nous ne sommes. Il n'y a qu'un remède à nos maux, mon père , c'est de nous dire quelque chose de la pénitence, de sa fin et surtout des marques d'une véritable satisfaction, afin que, rassurés sur
168
l'expiation de nos fautes passées, nous puissions nous animer à atteindre la perfection que vous nous avez enseignée.
4. L'ABBÉ PYNUPHE. Je suis ravi des preuves que vous me donnez de votre humilité profonde. Je l'avais déjà remarquée, lorsque j'habitais votre cellule, et je me réjouis de ce que vous accueillez si bien ce que nous vous disons, nous qui sommes les derniers des chrétiens ; vous faites plus , il me semble , que ce que nous enseignons, et je me rappelle que vos actions valent bien mieux que nos paroles. Vous cachez tellement votre mérite, qu'on peut croire que vous ne vous en doutez pas vous-mêmes, et que vous ignorez les vertus que vous pratiquez tous les jours. J'estime beaucoup cette disposition où vous êtes de paraître ne pas connaître la conduite des saints, comme si vous étiez novices, et je vais tâcher de vous exposer, en peu de mots, ce que vous demandez avec tant d'instance. Il faut bien vous obéir, malgré mon ignorance et mon peu de mérite , en souvenir de notre ancienne amitié.
Bien des personnes ont déjà, de vive voix ou par écrit, traité de la pénitence et de sa nécessité; ils ont montré qu'elle servait, lorsque Dieu était irrité de nos fautes passées et que sa justice allait en tirer vengeance, à lui résister en quelque sorte et arrêter, pour ainsi dire malgré lui, la main qui allait nous frapper. Vous savez ces choses; la lumière que vous avez reçue d'en haut, votre étude continuelle des saintes Écritures, vous les ont apprises, dès le commencement
169
de votre vie religieuse. Aussi ce n'est pas de la valeur de la pénitence que vous désirez être instruits, c'est sur son but et sur les marques d'une vraie satisfaction que vous m'interrogez ; et je vais tâcher de répondre à votre attente, le plus brièvement qu'il me sera possible.
5. La marque d'une véritable et parfaite pénitence est de ne plus commettre les péchés dont nous nous repentons, et dont le remords troublait notre conscience; la marque d'une vraie satisfaction et du pardon reçu est d'avoir banni de son coeur toute affection à ses péchés. Car un homme peut être certain qu'il n'est pas pleinement délivré de ses anciennes passions, lorsqu'en s'appliquant à les expier, dans les gémissements et les larmes, les images des fautes qu'il a commises troublent encore son âme, je ne dis pas par un plaisir secret, mais par un simple souvenir. Celui donc qui cherche à satisfaire pour ses péchés, reconnaîtra qu'il en a reçu le pardon et qu'il en a fait pénitence, lorsqu'il n'y trouvera plus aucun attrait et que son imagination même n'en sera plus frappée. Nous avons dans notre conscience un juge de notre pénitence et de notre pardon; il prévient le jour du jugement, et, dès cette vie, nous montre si nous avons apaisé la justice divine. En un mot, nous pouvons croire que nous sommes délivrés de nos fautes passées, lorsque nous n'éprouvons plus dans notre coeur le moindre désir des plaisirs d'ici-bas.
6. L'ABBÉ GERMAIN. Mais d'où pourra naître en nous cette componction sainte et salutaire que l'Écriture
170
attribue au pénitent : « Je vous ai fait connaître mon péché et je ne vous ai pas caché mon injustice. J'ai dit : je confesserai contre moi-même mon injustice au Seigneur; » et comment pourrons-nous ajouter ensuite : «Vous avez remis l'iniquité de mon crime»? (Ps. XXXI , 5.) Comment pourrons-nous , prosternés dans la prière, nous exciter aux larmes d'une confession sincère et mériter le pardon de nos fautes, selon cette parole : « Je laverai mon lit chaque nuit, j'arroserai ma couche de mes larmes » (Ps. VI, 7), si nous bannissons de notre coeur le souvenir de nos péchés que Dieu, au contraire, nous dit de garder avec soin : « Je ne me souviendrai pas de vos iniquités; mais, vous, ne les oubliez pas »? (Is., XLIII, 25.) Aussi, non-seulement pendant mon travail, mais pendant ma prière même, je m'applique à me rappeler mes péchés, afin de m'exciter plus efficacement à une humilité sincère et une contrition parfaite du coeur, et de pouvoir dire avec le Prophète : « Voyez mon humilité et mes efforts, et pardonnez-moi tous mes péchés. « (Ps. XXIV, 18.)
7. L'ABBÉ PYNUPHE. Vous m'avez interrogé, comme je l'ai dit, non pas sur la qualité de la pénitence, mais sur sa fin et sur les moyens de reconnaître qu'on a satisfait à Dieu ; je crois vous avoir répondu. Au sujet du souvenir des péchés, vous savez qu'il est très-utile et très-nécessaire à ceux qui font encore pénitence, afin qu'ils puissent s'écrier en frappant leur poitrine : « Je confesse mon iniquité , Seigneur, et mon péché est toujours devant moi » (Ps. L, 5); et encore : « Je
171
penserai sans cesse à mon péché. » (Ps. XXXVII, 19.) Ainsi, tant que nous faisons pénitence et que nous sommes tourmentés du souvenir de nos fautes, il faut que la pluie de nos larmes éteigne le feu qui brûle notre conscience. Mais lorsque, après avoir persévéré longtemps dans cette humilité et cette contrition du coeur, ce souvenir s'efface; lorsque la grâce, la miséricorde divine ôte enfin de notre âme cette épine qui la blessait, nous devons espérer que nous avons obtenu le pardon de nos péchés et que nous en sommes entièrement purifiés. Nous ne pouvons cependant obtenir de Dieu cet oubli qu'en détruisant toutes nos anciennes passions et en arrivant à une véritable pureté de coeur.
Cette grâce n'est pas accordée aux lâches et aux négligents qui n'auraient fait aucun effort sur eux-mêmes. Il faut, pour l'obtenir, travailler sans cesse à effacer ses souillures dans les gémissements et les larmes; il faut crier vers Dieu, de toute son âme et par toutes ses oeuvres : « Je vous ai fait connaître mon péché, et je ne vous ai pas caché mon injustice » (Ps. XXXI, 5.) « Les larmes ont été mon pain de la nuit et du jour. » (Ps. XLI, 4.) C'est ainsi que nous mériterons d'entendre ces paroles : « Que ta voix se repose de ses gémissements et tes yeux de leurs larmes, parce que tes efforts sont récompensés, a dit le Seigneur » (Jérém., XXXI, 16), et Dieu nous dira encore: « J'ai effacé vos iniquités comme un nuage, et vos péchés comme une vapeur. » (Isaïe, XLIV, 22.) « Je suis celui qui efface vos iniquités à cause de moi-même, et je ne me souviendrai plus de vos péchés. »
172
(Isaïe, XLIII, 25.) L'âme délivrée des liens de ses péchés pourra crier vers Dieu dans sa reconnaissance : «Vous avez brisé mes liens; je vous sacrifierai une hostie de louange. » (Ps. CXV, 16.)
8. Outre la grâce, qui est générale à tous les chrétiens, et le don précieux du martyre qui s'obtient par l'effusion du sang, il y a des fruits de pénitence qui assurent l'expiation complète des péchés. Le salut étqrnel n'est pas seulement promis à cette simple pénitence, dont saint Pierre a dit : « Faites pénitence et convertissez-vous , afin que vos péchés soient effacés » (Act., III, 19); comme saint Jean-Baptiste et Notre-Seigneur lui-même l'avaient dit aussi : « Faites pénitence , car le royaume du ciel est proche. » (S. Matth., III, 2.) La charité a la même force et nous délivre du fardeau de nos péchés, « car la charité couvre la multitude des péchés. » (I S. Pierre, IV, 8.) L'aumône aussi guérit nos blessures : « De même que l'eau éteint le feu, l'aumône éteint le péché. » (Eccli., III, 33.) Le don des larmes purifie également de nos souillures; car David a dit : « Je laverai, toutes les nuits, ma couche; j'arroserai mon lit de mes larmes; » et pour montrer qu'il ne les a pas versées en vain, il ajoute : « Retirez-vous de moi, vous tous qui commettez l'iniquité, parce que le Seigneur a exaucé la voix de mes larmes. » (Ps. VI, 7.)
Dieu accorde la rémission des péchés à une humble confession, selon ce témoignage du Prophète : « J'ai dit : Je confesserai contre moi-même mon injustice au Seigneur, et vous avez pardonné l'impiété de mon
173
péché» (Ps. XXXI, 5); et encore : « Confessez le premier vos iniquités, et vous serez justifié. » (Isaïe, XLIII, 24.) L'affliction du cœur et du corps nous sert aussi pour obtenir le pardon de nos fautes passées. « Voyez, dit David, mon abaissement et mes efforts, et pardonnez-moi toutes mes offenses. » (Ps. XXIV, 18.) Le principal moyen est de se corriger de ses défauts : « Otez de devant nies yeux la malice de vos pensées, cessez de faire le mal, apprenez à faire le bien; cherchez la justice, secourez l'opprimé, protégez l'orphelin, défendez la veuve; et puis venez et adressez-vous à moi, dit le Seigneur. Quand même vos péchés seraient comme l'écarlate, ils deviendront comme la neige ; quand même ils seraient rouges comme la pourpre, ils deviendront blancs comme la laine. » (Isaïe, I, 13.)
Souvent l'intercession des saints obtient le pardon des fautes , car : « Celui qui sait que son frère pèche , mais pas mortellement, doit prier pour que Dieu sauve celui qui pèche sans aller jusqu'à la mort » (S. Jean, V, 16) ; et encore : « Lorsque l'un de vous est malade, qu'il s'adresse aux prêtres de l'Église et qu'ils prient sur lui, en l'oignant d'huile, au nom du Seigneur; et la prière de la foi sauvera le malade; le Seigneur le soulagera, et, s'il est dans le péché, il lui sera pardonné. » (S. Jacq., V, 14.) Quelquefois la miséricorde et la foi méritent le pardon de nos fautes, selon cette parole : « La miséricorde et la foi purifient les péchés. » ( Prov., XV, 27.) Il en est de même de la conversion de ceux que nos paroles et nos avis ont
174
sauvés : « Car celui qui convertit un pécheur et le sort de l'égarement de la vie, sauve aussi son âme de la mort et couvre la multitude de ses péchés. » (S. Jacq., V, 20.) L'indulgence que nous avons pour les autres nous obtient celle de Dieu même : « Si vous remettez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous remettra les vôtres. » (S. Matth., VI. (1)
Vous voyez combien la clémence du Sauveur nous ouvre d'entrées à sa miséricorde, afin qu'aucun de ceux qui désirent se sauver ne tombe dans le désespoir en voyant tant de moyens d'arriver à la vie. Si, à cause de votre santé, vous ne pouvez satisfaire pour vos péchés par les jeûnes, si vous ne pouvez pas dire avec David : « Mes genoux sont affaiblis par le jeûne et ma chair est changée par l'huile dont elle est privée » (Ps. CVIII, 24), « car j'ai mangé la cendre comme du pain et j'ai mêlé à mon breuvage l'eau de mes larmes » (Ps. CI, 10), vous pouvez racheter vos péchés par l'aumône. Si vous ne pouvez faire l'aumône, quoique la pauvreté même puisse la faire, puisque Notre-Seigneur a préféré le denier de la veuve à tous les présents
(1) Cette conférence présente quelques obscurités. Il faut se rappeler la doctrine du concile de Trente pour ne pas s'écarter de la vérité, et pour distinguer le péché, de la peine due au péché. Lieu seul ale pouvoir de remettre le péché, et c'est par le sacrement de pénitence qu'il le, fait dans l'Église. La contrition parfaite ne l'efface qu'avec la volonté de le recevoir. Mais l'homme en état de grâce a différents moyens d'obtenir de la miséricorde divine la remise dé la peine du péché. C'est ce que l'abbé Pynuphe veut expliquer.
175
des riches et qu'il a promis de récompenser un verre d'eau donné en son nom, vous pourrez toujours vous purifier en changeant de vie. Si vous ne pouvez atteindre la perfection, en vous corrigeant de tous vos défauts, vous pouvez travailler avec zèle au salut de vos frères. Si vous dites que vous n'êtes pas propre à ce ministère, vous pouvez racheter vos péchés par une grande charité. Si votre tiédeur ne vous permet pas ce moyen, vous pouvez du moins demander des prières et recourir humblement à l'intercession des saints pour qu'ils obtiennent la guérison de vos blessures.
Enfin, qui est-ce qui ne peut dire avec componction : « Je vous ai fait connaître mon péché et je ne vous ai pas caché mon injustice, s afin de pouvoir ajouter aussi avec le Prophète : « Et vous avez pardonné l'impiété de mon coeur »? (Ps. XXXI, 5.) Si la honte vous empêche de confesser vos fautes devant les hommes (1), vous pouvez les avouer à Celui qui ne peut les ignorer et lui dire sans cesse : « Mon Dieu, je reconnais mon injustice, et mon péché est toujours devant moi; j'ai péché contre vous seul, et j'ai fait le mal en votre présence. » (Ps. L, 5.) Il vous épargne la honte de dire vos fautes publiquement, et il vous les pardonne, sans vous les reprocher devant les hommes. Avec ce remède si prompt et si certain, la miséricorde divine nous en offre un encore plus facile, puisqu'il
(1) Il est évident qu'il ne s'agit pas ici de la confession à un prêtre, mais de la confession publique, en usage dans les premiers siècles de l'Église.
176
dépend de notre volonté de nous faire pardonner nos offenses, en pardonnant celles des autres. Nous pouvons dire à Dieu : « Remettez-nous nos dettes comme nous les remettons à ceux qui nous doivent. » (S.
Matth., VI, 12.)
Que celui donc qui désire avoir le pardon de ses péchés s'applique à profiter de tous ces moyens, et surtout qu'il ne se ferme pas, par l'endurcissement de son coeur, la source de la miséricorde divine qui coule si abondamment pour nous; car nous aurions beau prendre tous ces moyens, ils seraient insuffisants pour expier tous nos péchés, si la Bonté infinie ne les effaçait. Quand Dieu voit les efforts de nos âmes, il accorde à notre humble faiblesse des trésors de grâce. Il nous dit : « C'est moi, c'est moi qui efface vos iniquités, à cause de moi-même, et maintenant je ne me souviendrai plus de vos péchés. » (Isaïe, XLIII, 25.) Quiconque fera ce que nous venons de dire obtiendra la grâce de satisfaction par ses jeûnes et par la mortification de son coeur et de son corps; car il est écrit : « Il n'y a pas de rémission sans le sacrifice du sang » (Hébreux, IX, 7); et cela est juste : « Car la chair et le sang ne peuvent posséder le royaume de Dieu. » (I Cor., XV, 50.) Celui qui empêche le glaive de l'esprit, qui est la parole de Dieu , de répandre le sang, encourt certainement cette malédiction du prophète Jérémie : « Maudit soit qui détourne son épée du sang. » (Jérémie, XLVII, 10.) C'est ce glaive qui répand , par une effusion salutaire, ce sang coupable qui est la matière du péché; c'est ceglaive qui coupe et retranche ce qu'il y a dans nos membres de charnel et de terrestre, qui nous fait mourir à nos passions, pour nous faire vivre en Dieu par la force des vertus.
On ne pleure plus alors au souvenir de ses fautes, mais on pleure dans l'espérance des joies futures. L'âme ne s'occupe plus des maux passés, mais des biens à venir; ses larmes ne sont plus des larmes de repentir mais des larmes de joies, en pensant au bonheur du ciel. Elle oublie ce qui est derrière elle, c'est-à-dire les passions de la chair, pour ne tendre qu'à ce qui est devant elle, c'est-à-dire vers la vertu et les dons spirituels.
9. Quant aux pensées dont vous parliez tout à l'heure, je crois qu'il ne faut pas chercher à vous les rappeler, mais qu'il faut, au contraire, en chasser le souvenir, lorsqu'il se présente malgré vous; car il empêche l'âme du solitaire de contempler la pureté divine, et la reporte au milieu des souillures du monde et de l'infection des vices. En vous rappelant ce que vous avez fait autrefois par sensualité ou par ignorance, vous avez beau n'y trouver aucun plaisir, vous n'en respirez pas moins un principe de contagion, qui empeste votre âme, et y détruit le parfum des vertus. Ainsi, lorsque le souvenir de vos fautes passées se présente, il faut s'en détourner, comme un homme honnête et grave s'éloigne de la courtisane qui viendrait lui parler et le tenter sur la voie publique. Si cet homme ne s'en détourne aussitôt, s'il s'arrête un seul instant à écouter ses paroles déshonnêtes,
178
il aura beau résister à ses provocations, sa réputation en souffrira toujours auprès de ceux qui l'auront aperçu. Nous devons fuir de même tous les souvenirs qui pourraient nous corrompre, et en détourner promptement notre pensée, comme nous le conseille Salomon : « Fuyez promptement, ne demeurez pas dans le même lieu; évitez le moindre regard » (Prov., v , 8.), de peur que les anges en nous voyant arrêtés à ces pensées déshonnêtes, ne puissent pas dire en passant : « Que la bénédiction du Seigneur soit sur vous; nous vous bénissons au nom du Seigneur. » (Ps. CXXVIII, 8.) Il est impossible que l'âme se conserve dans de saintes pensées, lorsque le coeur s'arrête aux choses honteuses de la terre. La parole de Salomon est vraie : « Quand vos yeux se fixeront sur la femme étrangère, votre bouche dira des paroles coupables. Vous serez comme le pilote qui s'endort au milieu des flots, et qui perd son gouvernail dans la tempête. Vous direz : Ils m'ont frappé, et je ne l'ai pas senti; ils se sont moqués de moi, et je ne m'en suis pas aperçu. » (Prov., XXIII, 31)
Il faut donc éloigner de nous, non-seulement les pensées coupables, mais encore celles qui sont basses et terrestres, afin d'élever toujours notre esprit vers le ciel, comme Notre-Seigneur nous le recommande, en disant: « Où je suis, mon serviteur doit être aussi.» (S. Jean, XII, 26.) Car il arrive souvent qu'en pensant à leurs chutes, ou à celles des autres pour les déplorer, des personnes inexpérimentées finissent par y trouver un plaisir secret; et ce qui semblait commencer
179
par un sentiment de piété, se termine par une véritable impureté : « Il y a des voies qui paraissent droites aux hommes, et qui conduisent à la fin au fond de l'enfer. » (Prov., XIV, 12.) Nous devons donc nous exciter à la componction du cour plutôt par la recherche des vertus et le désir du ciel, que par le souvenir dangereux de nos fautes; car si nous voulons nous tenir sur un cloaque et en remuer la boue infecte, nous serons exposés à des exhalaisons mortelles.
10. Nous pouvons donc, comme nous l'avons dit, espérer que nous avons satisfait pour nos fautes passées, lorsque nous aurons retranché de notre coeur lés mouvements et les affections qui nous les ont fait commettre. Que personne, cependant, ne croie obtenir cette grâce autrement qu'en fuyant les causes et les occasions de ces fautes. Si, par exemple, il est tombé dans l'impureté par une trop grande familiarité avec les femmes, qu'il évite avec soin jusqu'à leur présence. S'il s'est laissé entraîner à des excès de vin et de nourriture, qu'il punisse sa gourmandise par des jeûnes plus sévères. Si le désir de l'argent et l'amour des richesses l'ont corrompu et poussé au parjure, au vol, à l'homicide, au blasphème, qu'il ait en horreur tout ce qui peut exciter l'avarice. Si c'est l'orgueil qui le porte à la colère, qu'il le combatte par une humilité profonde. Ainsi, pour éteindre chaque péché, il faut détruire la cause et l'occasion par laquelle ou pour laquelle nous l'avons commis : c'est le moyen de nous guérir de nos fautes passées, et d'arriver même à les oublier.
180
11. Ce que nous disons de cet oubli, regarde seulement les péchés capitaux, qui sont condamnés par la loi de Moïse , mais qu'une conversion sincère efface lorsqu'elle détruit l'affection, et rend la satisfaction parfaite. Quant à ces fautes légères dans lesquelles , comme il est écrit, « le juste tombe sept fois par jour et se relève » ( Prov., XXIV, 16), les !moyens ne manqueront pas d'en faire pénitence. Nous péchons tous les jours par ignorance, par oubli, par pensées, par paroles, par nécessité, ou par faiblesse, volontairement ou malgré nous; et c'est pour cela que David, dans sa prière, demande à Dieu sa miséricorde et son pardon : « Qui peut comprendre les fautes? Purifiez-moi de celles qui sont cachées, et pardonnez à votre serviteur celles des autres. » (Ps. XVIII, 13.) Saint Paul dit aussi : « Je ne fais pas le bien que je veux , et je fais le mal que je déteste; » et il s'écrie en gémissant : « Malheureux que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort? » (Rom., VII, 24.)
Nous tombons naturellement avec une telle facilité dans ces fautes, que malgré nos soins et notre vigilance, il est impossible de les éviter entièrement. Le disciple que Jésus aimait le dit formellement : « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est pas en nous.» (I S. Jean, I, 8.) Il ne suffit donc pas à celui qui aspire à la perfection, au but de la pénitence, de s'éloigner de tout ce qui est défendu, il faut encore ne jamais se lasser de progresser dans les vertus qui sont les preuves d'une satisfaction véritable; car ce
181
n'est pas assez de s'abstenir des péchés honteux et infects que Dieu déteste , on doit aussi s'efforcer d'acquérir cette bonne odeur des vertus qui lui est agréable, par la pureté du coeur et par la perfection de la charité apostolique.
Tels sont les enseignements que nous donna l'abbé Pynuphe, sur la fin de la pénitence et les marques de la satisfaction. Il eut la bonté de nous inviter à rester dans son monastère; mais comme nous désirions visiter le désert de Schethé, dont la réputation était si grande, il ne s'opposa pas à notre dessein.
No comments:
Post a Comment